Obligations fiscales des influenceurs à l’ère numérique
1. Nouvelles professions liées aux médias sociaux
Le développement généralisé de l’économie numérique et le succès ininterrompu des réseaux et média dits sociaux à l’échelle planétaire ont récemment contribué à l’éclosion et à l’essor de nouvelles professions, telles que les ‘influenceurs’.
Ceux-ci peuvent être définis comme des personnes qui, par leur audience sur lesdits réseaux et média sociaux, sont susceptibles, par la diffusion de contenu portant sur des sujets divers, d’influencer les comportements de consommation et/ou les opinions des internautes. Ainsi, pour les plus talentueux d’entre eux, les ‘influenceurs’ sont capables, par leur charisme et leur créativité, de lancer parfois de nouvelles tendances, ce qui en fait des acteurs puissants et donc recherchés dans de nombreux secteurs économiques (tourisme, bien-être, mode, etc.).
L’éclosion de cette nouvelle profession a été peu à peu encadrée par l’adoption ou, à tout le moins, l’adaptation de réglementations ou législations spécifiques à cette matière. Ainsi, ce secteur d’activité est régi par un certain nombre de directives européennes, qui ont été le plus souvent transposées en droit belge.
Parmi les directives européennes en question, citons à titre strictement exemplatif :
(i) la Directive (U.E.) 2019/770 du Parlement européen et du Conseil ‘relative à certains aspects concernant les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques’ et transposée en droit belge par la loi du 20 mars 2022 ‘modifiant les dispositions de l'ancien Code civil relatives aux ventes à des consommateurs, insérant un nouveau titre VIbis dans le livre III de l'ancien Code civil et modifiant le Code de droit économique’ ;
(ii) la Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE et transposée en droit belge par la loi du 19 juin 2022.
Sur le plan fiscal également, les influenceurs doivent respecter les obligations et formalités en vigueur, à l’instar de n’importe quel contribuable. En Europe, ils ne bénéficient donc pas d’un statut ou régime fiscal particulier ou dérogatoire.
2. Impôts directs : impôt des personnes physiques et impôt des sociétés
Ainsi, à l’impôt des personnes physiques, les revenus des influenceurs ne sont en soi pas différents quant à leur ‘nature’ de ceux d’autres activités ou professions : la qualification à donner aux revenus d’une telle activité doit s’apprécier en fonction des circonstances de droit et de fait dans lesquelles cette activité est exercée. Une analyse de la législation nationale s’avère indispensable. En Belgique, par exemple, les droits d’auteur susceptibles d’être perçus par les influenceurs peuvent être requalifiés en bénéfices des entreprises, en fonction des circonstances, si les conditions requises pour l’application du régime fiscal favorable des droits d'auteur ne sont pas remplies.
En règle générale et quel que soit le pays, les revenus des influenceurs exerçant leur activité en qualité d’indépendant s’analysent comme des ‘profits’, soumis à l’impôt des personnes physiques (I.P.P.) en Belgique ou à l’impôt sur le revenu (I.S.) en France. Lorsque l’activité en question est exercée dans un cadre sociétaire, les revenus générés sont qualifiés de bénéfices des entreprises et sont alors soumis à l’impôt des sociétés (I.Soc. en Belgique, I.S. en France). Il est important de noter que le régime fiscal français offre des particularités optionnelles dans la détermination du type d’impôt. Quelle que soit la situation, l’influenceur veillera à correctement déclarer les revenus perçus en soumettant une déclaration à l’impôt des personnes physiques ou à l’impôt des sociétés, conformément aux exigences fiscales en vigueur.
Souvent, les influenceurs reçoivent des prototypes, des échantillons, des articles ou des produits en contrepartie de leurs prestations. En droit fiscal, ces prototypes, échantillons, etc. reçus ne constituent en principe pas des cadeaux, mais s’analysent comme un avantage de toute nature, qui doit être évalué, et qui constitue un élément de la rémunération (i.e., profit) de l’ ‘influenceur’ obtenu en raison ou à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle.
3. TVA
Sur le plan de la TVA, les influenceurs effectuent des prestations de services, qui leur confèrent la qualité d’assujetti à la TVA. Cela implique dans leur chef le respect d’un certain nombre d’obligations et formalités : identification à la TVA ; le cas échéant, dépôt des déclarations TVA conformément à la législation du pays applicable, déclaration à l’URSSAF en France, émission de factures en bonne et due forme, etc.
Une fois de plus, une analyse approfondie s’impose en raison des particularités de chaque pays. Ainsi, en Belgique, les ‘influenceurs’ dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 25.000 € (hors TVA) pourront bénéficier du régime dit de la franchise et être ainsi dispensés de la plupart des obligations fiscales en matière de TVA. En France, pour les auto-entreprises, la franchise s’applique si le chiffre d’affaires est inférieur à 36.800 €. Ce montant peut varier pour d’autres formes sociétaires.
4. Droits de douane
Lorsque dans le cadre de son activité, un influenceur importe des marchandises d’un pays tiers, que ce soit via le ‘drop shipping’ ou d’autres techniques, ces marchandises doivent être déclarées au moyen d’une déclaration d’importation dans un des systèmes de déclaration en douane, en fonction de la valeur et du type de marchandises.
En Belgique, la déclaration d’importation H7 a été introduite en juillet 2021 et vise spécifiquement l’e-commerce et les envois de faible valeur : aucun droit de douane n’est perçu sur les envois de marchandises de faible valeur, c’est-à-dire les envois qui ont une valeur de maximum € 150,00.-, mais ceux-ci restent assujettis à la TVA.
5. Expatriation
À l’instar d’autres professions libérales, l’exercice du métier d’influenceur ne nécessite pas de matériel encombrant : le plus souvent, un ordinateur portable, une bonne connexion Internet et quelques accessoires suffisent. Dès lors, les possibilités d’émigration ou d’expatriation peuvent être envisagées assez aisément.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que nombre d’influenceurs choisissent de s’exiler temporairement, voire définitivement, vers des cieux plus cléments d’un point de vue météorologique ou fiscal. Toutefois, que cette émigration ou expatriation soit temporaire ou définitive, elle entraîne des conséquences parfois importantes sur le plan fiscal. Il est par conséquent vivement conseillé de préparer avec soin, en amont, son émigration ou expatriation.
En droit fiscal international, ce n’est pas tant la nationalité du contribuable qui importe, mais le lieu (pays) dont il sera considéré comme un résident fiscal. Ainsi, les conséquences fiscales liées à l’émigration ou expatriation de l’influenceur doivent être analysées et préparées compte tenu de sa résidence fiscale actuelle et future, le cas échéant, à la lumière des dispositions d’une convention préventive de double imposition applicable. Chaque situation particulière liée à l’émigration ou l’expatriation doit être étudiée au cas par cas.
À titre d’exemple, on notera qu’un influenceur désireux de s’expatrier vers un pays à la fiscalité (très) avantageuse, voire inexistante, risque de ne pas être considéré comme un résident fiscal de ce pays. Par conséquent, il pourrait ne pas bénéficier des avantages ou exonérations prévus par la convention préventive de la double imposition applicable, en raison de son absence d’assujettissement à l’impôt dans ce pays. Il convient de noter qu’il existe des voies parfaitement légales pour remédier à ce type de situation.
Dans l’hypothèse où l’influenceur choisit d’exercer son activité professionnelle dans un cadre sociétaire, et non à titre d’indépendant, cette entreprise sera considérée comme un résident fiscal du pays où le siège de direction effective de ladite société est situé. Toutefois, même dans cette hypothèse, des précautions doivent être prises afin d’éviter, par exemple, un refus d’exonération des bénéfices ou l’application d’une clause anti-abus.
Gaëtan ZEYEN
Avocat
Maîtrise en gestion fiscale (Solvay Business School)
Doctorant en fiscalité internationale
- novembre 2023
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